Ferme Whitehall: un système agrosylvicole innovant au Royaume-Uni

Source: Ian Knight (ABACUS)

Partout dans le monde, la pratique de la culture entre les arbres est pratiquée depuis des siècles. Depuis la révolution industrielle, les monocultures et la mécanisation agricole ont entraîné le déclin de cette pratique et les stratégies choisies ont conduit l'agriculture vers des économies d'échelle. Au Royaume-Uni, le nombre d'arbres dans le paysage agricole a considérablement été réduit. La plantation d'arbres sur les fermes est maintenant reconsidérée comme faisant partie de la solution à long terme pour une agriculture durable.

La valeur de l'arbre en agriculture étant revenue au premier plan, l’intérêt pour la recherche en agroforesterie et le transfert de conseils pratiques pour encourager les agriculteurs à adopter cette pratique séculaire est devenu croissant. La recherche a mis en évidence les multiples bénéfices que l'agroforesterie apporte aux systèmes agricoles ; capacité d'accroître la productivité des terres, de diversifier les revenus agricoles, d'améliorer la biodiversité tout en protégeant les sols et l'environnement. Nous constatons également un intérêt croissant chez les agriculteurs pour les systèmes agrosylvicoles associant l’arbre avec des grandes cultures ou des cultures horticoles. Les revenus à court terme sont maintenus grâce aux cultures d’autant que les rangées d'arbres produiront un revenu supplémentaire à plus long terme.

Photo 1 : système agroforestier blé-noyer, Les Eduts, France (Jollet, C)

 

À la ferme Whitehall, près de Peterborough, les métayers Stephen et Lynn Briggs de Cambridgeshire sont devenus des pionniers de l'agroforesterie moderne. La ferme Whitehall est une ferme biologique de 100 hectares sans élevage, située sur un sol de tourbière en prairie où poussent des légumes de plein champ, des céréales et des graminées/trèfles favorisant la fertilité.

Depuis leur arrivée à la ferme Whitehall, l'objectif principal de Stephen et Lynn a toujours été de tirer profit du type de sol (très fertile) tout en développant un système d'agriculture biologique équilibré alliant productivité et protection de l'environnement. Le projet de la ferme Whitehall devait être viable économiquement et produire un solide revenu pour être en mesure de couvrir des coûts fixes élevés.

Les environs de la ferme Whitehall subissent une érosion éolienne importante lorsque la tourbe est cultivée et sèche, connue sous le nom tristement célèbre de « Fen Blow ». En tant que pédologues et agriculteurs biologiques, Stephen et Lynn n'étaient que trop conscients des conséquences de la perte de sol qui pourrait menacer la durabilité de leur entreprise agricole.

 
   

Photo 2 : Érosion éolienne des sols tourbeux près de la ferme de Whitehall, aka ‘The Fen Blow’, (Briggs, S)

L'agroforesterie a été un déclic pour Stephen qui a bénéficié d’une bourse internationale Nuffield pour connaître et apprendre les pratiques agroforestières du monde entier afin de les mobiliser et de les mettre en pratique pour sa propre entreprise agricole et encourager les agriculteurs britanniques à adopter des méthodes agricoles plus durables.

Etant en fermage, la sécurisation du foncier constituait un obstacle important à la création de la nouvelle « entreprise agroforestière ». Heureusement, Stephen et Lynn ont réussi à négocier le renouvellement de leur bail agricole sur une période de quinze ans, période suffisamment longue pour permettre un retour sur investissement, les pommiers ayant obtenu un cycle de culture suffisamment long. Au Royaume-Uni, le régime foncier est le plus souvent de très courte durée, de 3 à 5 ans, décourageant les agriculteurs souhaitant se lancer dans un projet agroforestier.

Après des recherches approfondies, il a été démontré que les pommiers offraient des produits et services multifonctionnels importants pour le système agricole. Dans ce système associant céréales annuelles/arbres, les fruits et le jus de pomme généreraient un rendement économique suffisant au cours des quinze années de location, diversifiant les activités et apportant plus de résilience à l’entreprise face au changement climatique, réduisant les ravageurs, les risques de maladies tout en protégeant les sols.

 

Le système de vergers en système agrosylvicole de la ferme Whitehall a été planté sur 52 ha de terres arables en 2009. Un mélange de treize variétés de pommes de table et à jus sur porte-greffes semi-nains a été planté à l'automne. Les principaux choix variétaux reposaient sur le goût, l'entreposage, la résistance aux maladies et la maturation tardive, cette dernière permettant de prolonger la période de récolte à la ferme. La maturation tardive permet de récolter les céréales à la fin de l'été avant de cueillir les pommes à la main au début de l'automne.

A la ferme Whitehall, 4 500 arbres ont été plantés sur 52 hectares de terres arables, les pommiers n'occupant que 4 ha (8 %), laissant 48 ha (92 %) pour les cultures entre les rangées. Au Royaume-Uni, il est courant de planter 1 000 arbres par hectare dans les vergers du Royaume-Uni, comparativement aux 100 arbres hectare du système vergers-agrosylvicole de la ferme Whitehall. Cette faible densité réduit les coûts de mise en place, les coûts fixes et coûts d’investissement dans des machines spécialisées pour les vergers, ce qui permet de maintenir un système productif de grandes cultures avec très peu de diminution du rendement dû à l'ombrage des arbres. Les arbres ont été plantés dans une orientation nord-sud afin d'annihiler l'impact de l'ombre des arbres sur la croissance des cultures situées entre les rangées. Cette orientation a permis de réduire l'érosion éolienne en interrompant le vent dominant du sud-ouest qui souffle sur cette région de prairies. Les arbres sont maintenus à une hauteur de 3 à 4 mètres, ce qui réduit l'ombrage tout en bloquant efficacement les flux venteux.

Photo 3 : Plan d’une plantation de pommiers à la ferme Whitehall, 100 arbres hectare, (Briggs, S)

   

 

Photo 4: mise en place de céréales de printemps en système intercalaire, (Briggs, L)

Lors de la conception du système agroforestier, l’espacement des arbres individuels d’une même rangée a été fixé à 3 mètres avec des allées de 27 mètres entre les rangées d'arbres, laissant un accès de 24 mètres de large adapté aux grandes machines agricoles. Un sous-étage de 3 mètres a été planté avec un mélange mellifère de trèfles, de vesce et de fleurs sauvages vivaces réduisant la pénétration des mauvaises herbes sous les pommiers et fournissant un habitat pour les pollinisateurs et les insectes auxiliaires bénéfiques pour les arbres fruitiers et pour le système agricole biologique qui n'utilise pas de pesticides.

L'investissement en capital a été important avec la mise en place de 52 hectares de système agrosylvicole pour un coût de £65,000. Les arbres sont entrés en pleine production au cours de la cinquième année et devraient être à leur production maximale pendant 15 ans. Les marges brutes par hectare sont similaires à celles des cultures céréalières biologiques environnantes, soit 1 000 £/ha.

Un des cœurs du business plan de la ferme Whitehall est de contrôler la chaîne de distribution des produits de la ferme. Il est difficile d'ajouter de la valeur aux céréales, de sorte que les primes biologiques et les marchés de produits sans gluten sont deux leviers mobilisés permettant d’améliorer la rentabilité du système. Stephen et Lynn ont récemment ouvert un magasin à la ferme afin de développer un nouveau marché de vente au détail pour mieux valoriser les produits tels que la pomme, les jus de fruits et les produits locaux provenant des fermes de la région environnante.

Photo 5: Stephen Briggs, fermier en agriculture biologique, pionnier en innovation agroforestière à la ferme Whitehall (Briggs, L)

Stephen Briggs, qui a mis en place un système agrosylvicole de 52 hectares sur sa ferme biologique, explique : "L'agroforesterie a été bénéfique pour notre ferme et notre entreprise, et nous a apporté tout ce dont nous avions besoin. Notre système est plus rentable et nous permet d'assurer la protection des sols qui était l’un de nos objectifs, avec l'avantage supplémentaire de favoriser la biodiversité."

Stephen aimerait que les gouvernements jouent un rôle de premier plan pour encourager l'adoption d'une utilisation multifonctionnelle des terres ; " La nature ne fait pas de monoculture. Si vous ne faites rien de votre terre pendant 40 ans, la nature la colonisera d’arbres et d’arbustes - ceci vous indique le projet de la nature."

L'agroforesterie a renforcé ce principe et l’agrosylviculture à la ferme de Whitehall a permis à Stephen et Lynn de développer une entreprise agricole productive tout en protégeant les sols et en augmentant la biodiversité sur la ferme. 

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